« Profites-en, ça passe trop vite, ! Et tu verras c’est que du bonheur !» Quel parent n’a jamais entendu cette phrase ? Quand j’écoute les témoignages autour de moi, il en ressort souvent qu’un parent, père ou mère, qui se lève plusieurs fois dans la nuit et qui passe des heures à essayer d’endormir son enfant, ne trouve pas que le temps passe si vite que cela !
Mais alors, d’où vient le paradoxe entre le bonheur de donner la vie et l’épuisement parental (le plus souvent maternel) dont j’entends tant parler ?
De nos jours, avec l’évolution des moyens de contraception, avoir des enfants relève le plus souvent d’un projet de couple raisonné. Et pourtant, malgré l’aspect réfléchi de ce projet, l’arrivée d’un enfant pourrait être ressenti comme un tsunami. Les parents d’aujourd’hui n’osent pas se plaindre de la difficulté parentale qu’ils rencontrent puisqu’ils ont choisi d’avoir leur bébé. Ils se donnent dans leur rôle de parents et n’y trouvent pas forcément le bonheur tant attendu.
A cela s’ajoute, la pression sociale des nouveaux courants d’éducation positive, alourdissant la charge mentale des jeunes parents. Ils peuvent culpabiliser de ne pas réussir à appliquer cette méthode d’éducation bienveillante tournée vers l’écoute des besoins de l’enfant.
Tous ces éléments, peuvent chambouler l’équilibre d’un couple et être le terreau fertile d’un baby clash. C’est un terme anglophone : « baby » signifiant bébé, et « clash » choc ou affrontement. C’est un phénomène se traduisant par l’apparition de tensions, conflits, disputes au sein du couple après une naissance. Cela s’explique par le changement de vie, la fatigue, les nouvelles responsabilités à endosser qui peuvent être angoissants pour la mère comme pour le père.
Selon le docteur Geberowicz, psychiatre et thérapeute familial : « Aujourd’hui plus que jamais, la naissance d’un enfant représente un risque de crise pour le couple. Les futurs parents ne sont pas toujours préparés aux remaniements qu’impose la réalité de cet évènement. Et souvent, au baby-blues succède un baby-clash. ».
Ce phénomène ne serait pas marginal car d’après une enquête réalisée par l’Institut Elabe pour WeMoms, (réseau social des futures mamans), deux couples sur trois vivent un baby clash. Par ailleurs, 20 à 25 % de parents se séparent dans les mois qui suivent l’arrivée de l’enfant.
Le film, « Un heureux évènement » illustre une situation de baby clash au sein du couple de Nicolas et Barbara. En y proposant des explications quant aux racines du phénomène, on y suit le cheminement du couple, du début de la relation amoureuse, à la naissance du bébé puis la montée des tensions dans le couple, dues notamment au manque de communication et à l’épuisement maternel. Le personnage principal, Barbara, après avoir quitté le domicile pour souffler, épuisée par l’arrivée de sa fille, se confie à une amie en disant : « Je n’ai pas le droit d’être malheureuse, je suis devenue maman, comment est-ce que je pourrais-je me plaindre ? C’est indécent ! Avoir un bébé, c’est censé être la plus belle chose au monde. » Cette injonction au bonheur post partum peut se révéler très culpabilisante pour les jeunes parents et particulièrement envers les mères qui n’osent pas toujours parler de leur épuisement maternel face à l’idéalisation de la parentalité.
Par conséquent, l’arrivée d’un bébé est souvent perçue comme un évènement heureux, une période de « pur bonheur », et pourtant elle, peut donner lieu à une période de crise conjugale. Le baby-clash demeure encore tabou car beaucoup de parents ont honte de faire part de leurs difficultés.
Les difficultés rencontrées par le couple à l’arrivée de l’enfant
Le baby clash est considéré comme une crise bénéfique, même si les parents trouvent cette période difficile. Elle peut faire grandir et transforme la relation de couple si elle est bien gérée. Il y a un décentrement de soi, de sa relation affective vers un petit être, qui devient alors le centre du monde. Il peut y avoir comme une désillusion de la découverte du bébé réel par rapport au bébé imaginé liée à l’injonction du bonheur qu’il procure. Cependant, la réalité montre que les premières semaines peuvent être éprouvantes.
La fatigue
Parmi toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes parents, celle qui est en tête de liste c’est la fatigue. Les nuits sans dormir, cumulées peuvent mettre à mal le lien conjugal. Cet épuisement est d’autant plus important si la maman allaite son enfant. Le manque de sommeil peut durer des mois, voire des années si l’enfant a du mal à s’endormir seul…
La gestion des nuits et des pleurs du bébé
Certains parents ont du mal à « supporter » les pleurs de leur bébé et sont très irritables lorsqu’il pleure. Un papa témoignait que « c’était impossible, il fallait trouver une solution pour que le petit arrête de pleurer je ne le supportais pas, il fallait que ça cesse ! ». Certains pleurs peuvent faire écho à des traumatismes du passé non conscientisés.
Au-delà de cela, gérer de nombreux réveils et pleurs de bébé la nuit est énergivore, cela contribue à la fatigue physique et psychique des parents. La dette de sommeil ne fait qu’augmenter et cela peut provoquer de l’anxiété chez certains parents.
C’est d’autant plus marqué lorsque c’est le premier enfant avec l’apprentissage de la parentalité qui demande aussi beaucoup d’énergie.
Répartition des tâches quotidiennes et parentales
Selon une étude de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) de 2010, les femmes prennent encore en charge 65 % du travail parental (habiller les enfants, leur faire à manger, les conduire à l’école ou chez le médecin, etc.) et 71 % des tâches ménagères.
Les hommes s’impliquent de plus en plus au sein du foyer, cependant espérer une égalité de la répartition des tâches demeure encore difficile. Il est préférable de rechercher l’équité à l’égalité en cherchant un terrain d’entente. Cela favorise l’harmonie au sein du couple et la sérénité nécessaire pour prendre soin de l’enfant.
La place de parent de chacun des conjoints
La femme qui porte son enfant devient maman dès la conception, c’est inscrit en elle, alors que la place du père est différente, elle doit se créer et se concrétise qu’au moment de la naissance. La maman prend beaucoup de place dans la parentalité ce qui crée un déséquilibre entre les deux conjoints. Parmi les mamans que j’ai rencontrées dans le cadre du baby clash, beaucoup m’ont dit que le père ne prenait pas suffisamment sa place de papa. Cela se matérialise par le fait qu’il n’est pas les mêmes réflexes qu’elle dans la détermination des besoins du bébé. J’ai pu constater aussi davantage d’exigence d’égalité dans la répartition de la charge parentale sans forcément tenir compte des différences de disponibilités en temps.
Le décalage de rythme entre la maman au foyer et le parent qui travaille
Il y a une ambivalence entre les valeurs archaïques ancrées en nous et les valeurs de notre société. Même si cela change de plus en plus, les valeurs des hommes, sont d’aller vers l’extérieur, et de rapporter de l’argent pour que sa famille puisse se nourrir et vivre convenablement. Aujourd’hui, de plus en plus de pères souhaitent passer plus de temps avec leur enfant à la maison. L’allongement du congé paternité à vingt et un jours va dans ce sens. Les valeurs de la femme changent aussi, elles passent de la femme d’intérieur qui prend soin de son bébé, à la femme des temps modernes qui se tourne davantage vers l’extérieur pour reprendre le travail. Cela représente des valeurs contradictoires.
Le baby clash est un bouleversement profond et inconscient. L’arrivée du bébé change la vie des couples confrontés à toutes sortes de difficultés qui peuvent mettre à mal leur lien conjugal. C’est la raison pour laquelle les parents doivent « faire équipe » en trouvant du temps pour communiquer et ainsi partager leurs besoins afin de créer leur propre modèle familial.
Créer un modèle familial commun au couple
C’est au moment d’accueillir l’enfant que les parents, prennent conscience que leurs modèles familiaux peuvent être très différents, voire littéralement opposés. Il faut alors composer avec ces deux modèles afin de créer son propre modèle familial. Cela nécessite de bien connaître son histoire et d’avoir fait le deuil de certains idéaux.
L’accueil d’un enfant, ne peut s’envisager sereinement, seulement si les parents ont pris conscience que leur vie ne sera plus jamais la même après son arrivée. Penser que c’est juste quelques semaines intensives, pour ensuite reprendre sa vie d’avant là où elle s’est arrêtée n’est qu’illusoire.
L’importance de faire le deuil de sa vie d’avant afin d’accepter sa responsabilité parentale
Les futurs parents qui sont préparés à le devenir, savent qu’à l’arrivée de leur bébé, ils vont être épuisés, manqueront éperdument de sommeil, ne pourront plus sortir à l’improviste sur un coup de tête avec un enfant… Dans la réalité, ils savent tout cela intellectuellement mais lorsqu’ils y sont confrontés réellement une fois, deux puis une multitude de fois, la frustration peut s’installer. C’est à ce moment-là qu’ils mesurent pleinement l’ampleur de la responsabilité parentale. Il peut y avoir une nostalgie de leur vie d’avant qui s’installe. Il est important de faire ce travail de deuil pour s’épanouir dans sa parentalité et accepter cette nouvelle responsabilité. Elle se découvre progressivement et s’affine en fonction des exigences de chacun. Cela permet d’avancer sur les projets de couple et de revoir sans cesse ses priorités.
Accepter d’être parent c’est aussi accepter d’être deux parents différents en fonction de son tempérament. Une maman à la maison vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec son bébé ne pourra pas attendre du papa, pense ou anticipe comme elle. De manière générale, le papa et la maman fonctionnent différemment et de façon complémentaire.
Sortir du Baby clash et faire équipe
Le couple passe du mode « amoureux » au mode « équipe » en accueillant la vie et change d’entité puisqu’il devient une famille. Faire équipe peut s’envisager qu’à partir du moment où les parents acceptent de s’écouter et de se comprendre mutuellement avec amour et tendresse et ainsi accepter leur complémentarité dans leurs différences.
L’une des clés pour faire équipe et sortir de la crise du baby clash c’est d’écouter ses besoins respectifs. Souvent les besoins des deux parents sont différents, par exemple la maman souhaite que le papa prenne le relais en rentrant du travail pour prendre le temps de se doucher, faire du sport ou dormir tout simplement alors que le papa lui peut attendre qu’en rentrant sa conjointe l’accueille avec hâte pour échanger avec lui sur sa journée. Si leurs besoins respectifs ne sont pas exprimés, et donc écoutés, les non-dits et reproches peuvent apparaître et associés à la fatigue se transformeront en conflits.
Une autre clé pour surmonter le baby clash c’est l’importance de trouver du relais et bien s’entourer. Les parents peuvent parfois mettre la barre très haut (surtout lorsque c’est le premier enfant) se mettre la pression pour tout gérer en couple et ne faire appel à personne. Parfois, il est préférable d’accepter l’aide de ses proches (parents, amis, voisins, professionnels…) plutôt que de se retrouver épuisé et ne plus réussir à se relever. Recevoir du soutien, cela s’apprend, il faut parfois du temps avant de pouvoir le reconnaître. Beaucoup de jeunes parents pensent qu’ils peuvent gérer seuls, sans aide. La transmission de génération s’est perdue comme l’allaitement. Les jeunes mamans sont davantage informées par les professionnelles de santé formées en allaitement que par leur mère, tante, grand-mère…
Cependant, se faire entourer ne doit pas être au détriment de sa position de parent. Chacun doit trouver sa juste place et le relais n’est bénéfique que s’il reste en vue d’aider à alléger le quotidien ou à accompagner vers une autonomie toujours plus grande sinon cela peut créer un déséquilibre conjugal.
Il est vrai que pour beaucoup de jeunes parents, la famille peut être éloignée. Cependant, s’entourer d’amis, de baby sitter, employer une femme de ménage peut être nécessaire. C’est aussi reconnaître qu’ils ne sont pas tout puissants et qu’ils ont besoin d’aide pour prendre du temps pour eux.
Un dernier élément important c’est de trouver un équilibre entre le couple parental et le couple conjugal. Il est facile pour le couple parental naissant de prendre toute la place et d’évincer le couple conjugal. Cependant, il est primordial de prendre du temps pour soi et du temps en couple. Certaines mamans me témoignent que c’est seulement lorsque le papa rentre du travail parfois tard le soir, qu’elles peuvent prendre du temps pour elles. Dans ce genre de situation, essayer de trouver un baby sitter, une amie, voisine… qui pourrait les relayer quelques heures pour pouvoir souffler serait bénéfique.
Le bébé qui vient au monde nécessite beaucoup d’attention et de soins de la part de ses deux parents déployant toute leur énergie dans le don total de leur personne. Il est toutefois indispensable que les parents puissent, dès qu’ils en ont la possibilité, prendre soin d’eux et de leur couple en prévoyant des moments spécifiques sur leur agenda afin que leurs besoins soient respectés. Cela nécessite une réorganisation familiale qui peut en valoir la peine.
Pour conclure, l’arrivée d’un enfant est souvent définie comme un tsunami. L’enfant vient bousculer le couple au quotidien et remettre en question son sommeil, son lien conjugal, son organisation, sa vie professionnelle, sociale etc… Tous les parents passent par une crise plus ou moins heureuse, souvent bénéfique pour les couples car cela transforme leur relation de couple, elle permet un décentrement de la relation amoureuse vers l’enfant qui devient à son tour le « centre du monde » et prend toute la place. La crise est alors plus ou moins bien vécue en fonction des couples et de leurs vécus.
La crise dans le couple rencontrée par certains parents est majoritairement due aux difficultés qu’implique l’arrivée de l’enfant. Au début, les parents sont soumis à tant de responsabilités, de fatigue, à une charge mentale supplémentaire, qu’ils doivent véritablement garder un espace de communication pour tout mettre à plat et discuter des questions non évoquées avant la naissance du bébé. Chaque parent doit pouvoir s’exprimer en toute liberté avec une écoute bienveillante sur ses besoins et désirs par rapport à la parentalité et à l’éducation. Malgré toutes les lectures, préparations en tous genres, il y a toujours une part de non prévisible qui vient bousculer les couples dans leur quotidien.

